Le mythe de Ganesh ou recevoir le cadeau d’être qui nous sommes
Je profite de la venue de Susanna Harwood en Europe pendant 1 mois, et notamment à Paris ces jours-ci, pour partager l’un de ses textes sur Ganesh. J’adore les sessions de yoga qui débutent par un récit qui inspire toute la pratique d’asanas et que l’on peut ensuite emporter avec nous « off the mat », dans la vie de tous les jours et cheminer en observant les nouvelles ouvertures que cela apporte dans le quotidien. Susanna est une conteuse talentueuse et transmet avec enthousiasme et créativité les mythes et concepts yogiques. Si vous avez l’occasion d’assister à l’un de ses ateliers (infos en bas de page), foncez!
Et maintenant, installez-vous confortablement avec une tasse de thé, ouvrez grand vos yeux, votre coeur et votre esprit, voici l’histoire de Ganesh et Musika :
Il était une fois, au même endroit et au même instant, deux créatures étranges, à tête d’éléphant et corps d’humain.
Ils étaient presque pareils, mais si on les regardait intensément, on pouvait voir que l’un d’eux avait une attitude placide et accueillante, tel un lac au bord de la forêt à midi, tandis que les yeux et les sourcils de l’autre crépitaient sous l’agitation comme du bois humide dans un feu.
Celui qui était placide, s’appelait Ganesha et adorait son apparence étrange, car c’était un cadeau offert par ses oncles et son puissant père, Shiva. Ses énormes oreilles percevaient le moindre murmure et chassaient les mouches dans un plaisant battement. Sa trompe avait la puissance d’une cinquantaine d’hommes, capable de déraciner de vieilles souches d’arbres et de maintenir les démons à distance. En même temps l’extrémité de sa trompe lui permettait de récolter avec habileté les graines d’une grenade afin de pouvoir les savourer une à une.
Celui qui était en colère s’appelait Gajamukha Asura, littéralement « le démon à tête d’éléphant » et souffrait terriblement de son apparence qu’il méprisait car cela venait d’une malédiction. Il était submergé par la honte et l’apitoiement sur son propre sort, ce qui éloignait les autres de lui car sa colère palpable les rendait mal à l’aise et qu’il les fustigeait de façon inattendue. Ils murmuraient « pourquoi ne peut-il pas ressembler davantage à Ganesh ? » Ses oreilles géantes d’éléphant saisirent leurs chuchotements et sa jalousie le rendit tellement fou de rage qu’il mit Ganesh au défi de se battre.
Ganesh n’avait aucune envie de se battre et essaya de le raisonner en lui disant “Viens et assieds-toi auprès de moi, mon ami. Nous nous ressemblons. Nous sommes comme des frères. Tiens…prends un bonbon. Profitons mutuellement de notre compagnie ! » Et il offrit à Gajamukha l’un de ses bonbons au lait préférés, un délicieux modak fondant qu’il prit dans le petit bol rempli à ras bord qui était à ses pieds. Sa bienveillance accentua encore la rage de Gajamukha qui continua à provoquer et défier Ganesh, qui finalement, accepta à contrecœur un combat de lutte.
Et c’est ainsi que tout commença.
La terre se mit à trembler sous le poids de Ganesh et Gajamukha s’écrasant lourdement sur le sol et les gens se dispersèrent dans toutes les directions, regardant avec inquiétude cachés derrière des arbres ou dans l’encoignure des portes. Dans sa fureur, Gajamukha était certain qu’il gagnerait, mais les mouvements de Ganesh étaient aussi gracieux que ceux d’un danseur et si rapides qu’ils en étaient déroutants. Gajamukha luttait pour rester debout, mais il bascula sur son côté droit et fut soudain vaincu. En un mouvement prompt, Ganesh cloua l’oreille de Gajamukha au sol à l’aide de sa défense droite cassée. C’était fini. En poussant un soupir, Ganesh s’assit, attendit que son opposant se détende, attrappa un autre bonbon et finalement le relâcha.
La colère de Gajamukha avait l’air de s’être dissipée. Il était devenu calme et réfléchi. Il s’assit lentement et demanda à Ganesh, « comment se fait-il que tu sois si lourd, si imposant, si sage et à la fois pourtant aussi agile et adroit ? Comment pourrais-je apprendre à posséder toute la lourdeur des qualités d’un éléphant avec autant d’élégance, tout en déployant la même légèreté et la même grâce que toi ? Quelle est l’astuce ? »
Les deux êtres à tête d’éléphants étaient assis l’un en face de l’autre et chacun regardait sa propre image se refléter dans la pupille de l’autre. Ganesha prit toute la tristesse de Gajamukha et Gajamukha sentit la profonde douceur et sagesse de Ganesha l’envahir.
“Reçois le cadeau d’être qui tu es”, dit Ganesh “et aime ta vie.”
Gajamukha sentit ses années de ressentiment gluant et de mélancolie moite se dissoudre. Il se sentit enveloppé par la sensation d’une caresse chaude, comme si quelque chose changeait tellement profondément en lui qu’il réalisa qu’il tendait le cou pour regarder dans les yeux de son ami. Il fixa son regard sur son reflet avec plaisir. Ganesha l’avait transformé en une petite souris gracieuse, agile et intelligente. Ganesh l’appela Musika et la transformation fut complète. Ils étaient parfaitement complémentaires.
Ganesha et Musika devinrent inséparables, chacun possédant ouvertement les qualités que l’autre gardait en son cœur. Derrière l’apparence douce et leste de Musika se cachait une force d’âme ancrée. Derrière l’apparence lourde de Ganesh on devinait la légèreté de son cœur. Désormais, Musika avait compris ce qu’il n’avait jamais pu saisir auparavant en tant que Gajamukha Asura : que lui et Ganesh étaient les deux aspects d’un même soi, chacun percevant le monde sous l’angle de son expérience individuelle.
Et nous? Commet recevons-nous les cadeaux qui nous ont été donnés et sommes-nous capables de voir que nos défauts et l’adversité peuvent finalement devenir nos atouts ? Comment cette prise de conscience peut-elle nous transformer ?
Nous sommes parfaitement imparfaits.
C’est ainsi.
Aime ta vie, dit Ganesha. Aime ta vie.
Un grand merci à Gopala Aiyar Sundaramoorthy qui a dit, il y a de nombreuses années à Madurai, à Douglas Brooks « Aime ta Vie, Aime ta Vie ».
Article de Susanna Harwood-Rubin ~ Traduction Brigitte Rietzler /// Temesira
Source : Receiving the Gift of Yourself, Elephant Journal – Photos Susanna Harwood Rubin