Méditation en prison : l’expérience de Tihar en Inde
La méditation en prison, ça marche? Et si oui qu’est-ce qu’elle apporte, comment les gens se transforment en méditant?
C’est l’expérience qu’a voulu mener Kiran Bedi dans la prison de Tihar en Inde et que relate le documentaire ci-dessous.
Cette prison de haute sécurité, située à 7 km de New Dehli, est considérée comme la plus vaste prison d’Asie du Sud-Est avec plus de 12 000 prisonniers accusés des pires crimes et de nombreuses personnes prisonnières de la bureaucratie indienne, en attente de jugement. Assassins, bandits, terroristes, violeurs, pédophiles et psychopathes cohabitent derrière les barreaux de cette geôle dont l’évocation du nom ferait frémir.
Lorsque ce petit bout de femme a été nommé Directrice de l’établissement pénitentiaire en 1993, elle est arrivée avec des idées révolutionnaires et à la fois pleines de bon sens. En effet, tant qu’à passer du temps enfermé, autant utiliser ce temps de façon constructive. Et comme le but est que les prisonniers se réinsèrent un jour dans la société, puissent trouver leur place et vivent harmonieusement avec les autres sans récidiver, cela paraît pertinent de mettre en place des outils qui les aident à évoluer, à mieux se connaître, à faire la paix avec eux-mêmes, leur histoire et les autres.
Kiran Bedi a donc nourri le projet de faire de Tihar un lieu de développement personnel, un ashram. Elle a d’abord apporté des changements aux conditions matérielles des détenus : facilités à la cantine, lecture, vêtements, radios, meilleurs soins médicaux, visites. Mais elle souhaitait également donner aux prisonniers une opportunité de devenir de meilleurs êtres humains. Elle voulait un changement plus profond que des changements matériels et leur permettre de faire face à leurs problèmes en prenant la responsabilité de leur vie et en sortant des rôles de bourreaux/victimes.
C’est alors que la méditation Vipassana est entrée en scène.
Vipassana kesako ?
Vipassana est une technique de méditation issue de la tradition bouddhiste, c’est celle qui aurait été enseignée par le Bouddha. Vipassana signifie « voir les choses telles qu’elles sont réellement ». C’est une méditation en silence -dont l’initiation dure 10 jours-, dans un cadre moral strict et qui consiste à observer en pleine conscience sa respiration et à maintenir son attention. Puis on observe et on accueille les sentiments, pensées, émotions qui émergent. Il ne s’agit pas de lutter contre cela, mais simplement de revenir à sa pleine attention lorsqu’on se laisse emporter par le flot des pensées. Au fur et à mesure on s’intériorise et l’esprit se calme. On observe les sensations physiques, corporelles, qui nous traversent sans être en réaction. On développe une écoute intérieure qui apporte des réponses.
Vipassana est également l’une des pratiques de méditation la plus étudiée par les scientifiques. D’ailleurs, l’une de ces études réalisée par l’Institut de Vipassana de Dehli (en 2002) s’est basée sur l’observation de l’expérience de Tihar et montre la réduction de la propension à la criminalité dans les prisons.
Introduction et effets de la méditation en prison
A Tihar, la méditation Vipassana a d’abord été introduite auprès des gardiens de prison. Le changement doit être global, nous sommes tous reliés et espérer que les prisonniers changent sans changer l’environnement et les hommes qui travaillent autour d’eux serait illusoire. Les effets ont immédiatement été ressentis par le personnel. Les gardiens ont observé la pacification de leurs émotions (notamment la colère, l’agressivité) et un état plus calme et positif. Puis des stages ont été organisés dans différents quartiers de la prison à une échelle de plus en plus grande. L’idée était de pouvoir maximiser l’impact de la méditation. Kiran Bedi est devenue la chef d’orchestre d’un cours de 1000 personnes avec S. N. Goenka. Là aussi, les prisonniers expérimentent immédiatement un mieux-être et une compréhension de leurs attitudes. Ils perçoivent la sortie du tunnel pour faire la paix en eux, avec leur passé, leur sentiment de culpabilité. Ils voient leur sentiment de compassion grandir et accèdent à leur capacité à pardonner et à se pardonner.
Le succès des cours est tel que le premier centre de Vipassana établi dans une prison est inauguré à Tihar en 1994, proposant des cours bimensuels à la population carcérale.
Tout ne se fait pas du jour au lendemain, c’est évidemment un long chemin, un processus. Car finalement, au delà de la réclusion derrière des barreaux, notre plus grand enfermement est intérieur, prisonniers de nos pensées, de notre passé, des croyances erronées et auto-jugements, otages de nos émotions, bref, de tout ce brouhaha intérieur qui génère une souffrance et un stress continus. Pour autant, l’important est de déclencher le changement, l’envie de travailler sur soi et de voir au fur et à mesure diminuer les émotions et attitudes négatives et toxiques ayant mené à l’irréparable. Garder une constance afin d’essayer d’enrayer les vieilles habitudes et les schémas obsolètes. Et comme toute prise de conscience, lorsqu’on remarque les changements dans notre façon de penser, dans notre comportement, on ne peut plus revenir en arrière.
C’est ce qui s’est produit à grande échelle à Tihar et qui a donné le feu vert à la mise en œuvre d’autres programmes similaires ailleurs dans le monde.
En France, l’association YEP (Yoga en Prison), favorise l’accès à des cours de yoga et de méditation en milieu carcéral. L’association L’Art de Vivre a également développé au niveau international le Programme SMART en prison associant des techniques de réduction du stress, prise en charge des traumas et gestion des émotions négatives.
Alors oui, si chacun de nous, dans ou hors les murs, a l’opportunité et les outils pour se transformer profondément, nous pouvons espérer vivre bientôt dans une société meilleure, dans un monde en paix. Notre paix intérieure est d’ailleurs la condition sinequanone pour la voir se refléter, se manifester dans le monde extérieur.
L’Argentin qui a mis les prisonniers les plus dangereux au yoga.
Ismael Mastrini a réussi à ce qu’en Argentine, les prisonniers passent leurs journées sans le poids de la haine et de la rancœur. Il est actuellement en Colombie pour partager son expérience.
Les 24 prisonniers sont allongés par terre. Cela se passe dans le bâtiment de haute sécurité du centre pénitentiaire de San Martín. Il s’agit de la prison la plus dangereuse de la province de Buenos Aires (Argentine). Ce sont les hommes les plus durs de cet endroit sombre qui le disent. Ils sont tous allongés sur le dos. Certains sont ici car ils ont assassiné quelqu’un, d’autres car ils ont dirigé les bandes délinquantes les plus virulentes de cette ville. Pour certains cela fait déjà la moitié de leur vie qu’ils sont ici : ils impressionnent les autres reclus, on les craint. Ils respirent.
Ils inspirent tous de grandes bouffées d’air, le retiennent quelques secondes dans leur poitrine et expirent. Les surveillants écoutent, attentifs au brouhaha de cette grande cage de murs, barbelés, cadenas et grilles, mais les 24 hommes qui sont allongés dans ce patio écoutent seulement leur respiration. Certains sont même arrivés au point de se rencontrer avec eux-mêmes, avec leur paix intérieure. Cet état autre, inconnu, peut paradoxalement, l’espace d’un moment, faire peur ; tellement que certains ne se rendent même pas compte qu’ils pleurent à chaudes larmes, bien qu’ils le fassent en silence. C’est alors que la paix arrive dans toute son expression. Mais qu’appelle-t-on paix ? : c’est se sentir léger, ne pas sentir ce poids sur soi, ne pas sentir la culpabilité, ni la rivalité, ne pas se sentir inférieur, se pardonner et savoir que l’on peut vivre sans planter de poignards, sans tirer de coups de feu, sans voler de portefeuilles. C’est respirer.
A leurs côtés un homme, qui à les écouter parler, adoucit les jours qui passent. Il s’appelle Ismael Mastrini, il a 75 ans, est avocat, mais actuellement il est prof de yoga, même s’il n’aime pas qu’on l’appelle prof ni s’approprier cet art millénaire. Considéré comme l’un des meilleurs avocats en droit civil, spécialisé en droit du divorce, employant plusieurs personnes dans son cabinet, et gagnant de l’argent en divisant des biens- il est passé sur l’autre rive, celle de rassembler des personnes et leur permettre de vivre la joie, le bonheur et peut-être l’amour.
Une scène l’a marqué pendant son enfance. Son papa lui avait offert un cheval et il l’aimait tellement qu’il jouait avec lui comme si c’était un animal domestique. Quelqu’un a voulu voler la belle jument, l’animal a résisté et a reçu un coup de poignard dans l’estomac. « Muñeca [Poupée, ndlt] partit à la recherche d’Ismael et mourut dans ses bras ». Depuis ce jour, il sait ce que c’est que de voir souffrir et mourir un être vivant. Il a aussi souffert des accès de « NON ». Eduqué dans des institutions religieuses, Mastrini adorait écrire, c’était ce qui l’épanouissait. Mais à chaque fois qu’il rendait un devoir on lui disait qu’il était mauvais et que ce n’était PAS sa voie ! « Papa, je veux être écrivain, « NON », lui répondit son géniteur avare de mots, alors le garçon s’inscrit très jeune en fac de droit, décroche son diplôme avec d’excellentes notes, et une fois rempli le mandat paternel, embarque à bord d’un bateau de hippies. C’était dans les années soixante. La rébellion pullulait à travers la planète. Il vécut l’Europe de 68, mais en voyant une boutique « Che Guevara » en Angleterre qui vendait des vieux jeans au triple des neufs, il comprit que le consumérisme s’était infiltré jusque dans le back-packer le plus gauchiste.
Une fois rentré en Argentine, il commence à vendre des savons qu’il peint lui-même avec de l’encre indélébile. L’engagement social le poursuit et comme il est expert en droit, un cas de divorce atterrit un jour entre ses mains qu’il mène avec succès. Il monte alors son propre cabinet et gagne très bien sa vie. Un matin la joie apparaît sous un visage de tristesse dans son bureau : un couple de jeunes gens veut se séparer. Mastrini prononce le divorce, mais il tombe amoureux de la fille. Le mari part avec les biens et l’avocat avec sa femme. Ils achètent une jolie maison, ont une fille, plantent un arbre et au moment où ils sont sur le point d’écrire le livre de la vie parfaite, le destin les propulse dans un abîme de malheur. Sa femme tombe enceinte. C’est un garçon ! Le bébé naît et meurt quelques jours plus tard. Ils réessayent et tombent à nouveau enceinte d’une fille, mais Mastrini est malheureux, sa vie est devenu une roue dans laquelle le hamster fait toujours la même chose : métro-boulot-et avant le dodo, passer au bar pour ne pas arriver trop tôt à la maison et rentrer ivre, puis recommencer le lendemain. Sa femme ne supporte bientôt plus la situation et sans essayer de trouver une solution, décide de partir. Et avec elle, l’envie de vivre.
Mastrini l’avocat, l’homme de la “famille et la vie parfaites” tombe alors dans une dépression telle qu’il se submerge dans la colère, l’alcool, la suffisance et la solitude. L’un de ses employés se rend régulièrement à des cours dans une association appelée « El Arte de Vivir » (l’Art de Vivre). « Et toi, pourquoi tu assistes à ces bêtises ? » se moque Mastrini pendant les rares bons moments. Un beau jour, Mastrini ne se rend pas à son bureau pendant plusieurs jours. Son ami lui téléphone, inquiet. « Je ne veux pas me lever. Je ne veux pas retourner travailler. Je ne veux plus continuer”, lui répond le meilleur avocat spécialisé en divorce de la Province de Buenos Aires. « Ismael, et pourquoi ne viens-tu pas avec moi à un cours. Allez, offre-toi ça ! Essaie et au pire si ça ne te plaît pas, que se passera-t-il ? Rien. Tu rentres chez toi et tu ne sors plus jusqu’à ce que tu en aies à nouveau envie. » De façon posée, comme il a toujours parlé, Mastrini répond « Ne soit pas bê-te » Mais il est venu. C’était en 2000 et l’homme de cinquante et quelques années pensait qu’il allait mourir malheureux. Triste. Seul.
Dès la première inspiration lors du tout premier exercice de respiration, avec les premiers silences qu’il a écouté. Oui, parce que les silences s’écoutent aussi. On s’écoute soi-même. Depuis cette fois, il n’a plus cessé d’assister aux sessions de yoga.
Curieusement, le travail des divorces à commencé à chuter. Évidemment, Mastrini connaissait désormais le soulagement, le pardon, l’amour et souvent son intervention faisait que les gens ne divorcent finalement pas. Au moment de facturer, ils lui répondaient : « Qu’est-ce que tu veux nous facturer, tu vois bien qu’on s’est pas séparé.» C’était ça qui payait. Un beau jour de 2008, il s’est retrouvé dans la prison de San Martín, enfermé, entouré de prisonniers, accompagnant sa prof de yoga qui donnait une classe. Il l’a tellement bien assistée que le lendemain, c’est lui qui a commencé à donner le cours. Il a pleuré avec les reclus, son âme est devenue plus légère et il est sorti comme quelqu’un qui vient de gagner le gros lot à la lotterie. « Ismael, pourquoi tu ne commencerais pas à donner des cours ? Ça fait 8 ans que tu en fais. Les gens ont le feeling avec toi, ils intègrent ce que tu transmets. Tu es un grand guide. » Il accepta.
Le fils qu’il avait perdu s’est converti en des centaines d’enfants. La famille qui était partie est revenue. Pas chez lui, mais dans sa vie. Il a quitté le cabinet d’avocat pour « L’Art de Vivre ». Ça a été clair pour lui la semaine où il a dormi cinq jours et ses quatre nuits pour partager ses heures entre 30 des reclus qui comptaient les plus hautes charges contre eux et le plus d’ancienneté en prison. Les premiers jours, les détenus vivent toujours ce que lui-même a vécu pendant son initiation, c’est pour cela qu’il les comprend : il comprend leur air étonné quand d’entrée de jeu il les serre contre lui au lieu de leur donner une poignée de main de celles qui mettent de la distance. Eux qui s’attendent à des cris et des remontrances, ne l’étreignent pas tout suite, mais lorsqu’ils sentent son énergie, ils finissent par lui donner une grosse accolade. C’est comme ça que le raconte Luis Alberto Ríos, un ex-criminel condamné pour assassinat, qui est passé par les 53 centres pénitentiaire de son pays. C’est le genre d’homme qui était accueilli par les cris de ses fanatiques quand il entrait dans le patio « Le danger arrive, le danger arrive ! » Cet homme que tout le monde craignait et qui était en isolement fut appelé par Ismael pour prendre un cours. Les surveillants ne voulaient pas qu’il y assiste à cause de ses antécédents : ils savaient que ça pouvait vite mal tourner et qu’il pourrait même y avoir des blessés. Ismael a insisté et s’est engagé à répondre des actes du prisonnier.
Il est venu à cette première session seulement pour sortir de sa cellule d’isolement. Quand il a entendu Mastrini parler de méditer deux fois par jour pour se sentir libre dans cette prison, il s’est dit que le vieux était fou, qu’ils étaient tous fous à lier. Luis se rappelle que ce n’est peut-être que le troisième jour que l’étreinte du guide lui a semblé plus sincère et que c’est dans cette transe de respirations profondes qu’il a commencé à pleurer comme un bébé, à sentir la tendresse qu’il n’avait pas reçu pendant son enfance et à sentir son poids moins lourd que d’habitude, comme s’il était en train de voler. « Seuls ceux qui pratiquent le yoga savent de quoi je parle », témoigne Luis qui est sorti de prison, a passé son bac, rejoint les bancs de la fac pour étudier la sociologie et validé chaque semestre avec une moyenne de 9,5 sur 10. Aujourd’hui la cicatrice qui entoure la moitié de son visage est le seul souvenir de son passé malheureux.
Ismael Mastrini a donné des cours dans plus de 100 prisons de tout le continent. Le patio comptant le plus d’hommes dangereux de toute l’Argentine, l’unité 48 de la prison de San Martín est passée d’une moyenne de 4 assassinats par mois à zéro. A plus aucun. Plus de 10 000 personnes, hommes et femmes, ont reçu ses enseignements de silence, méditation, respiration et amour. Même Ezequiel, un jeune homme de 23 ans passé par la correctionnelle depuis qu’il a 12 ans, a aujourd’hui un chez-lui, travaille dans la mécanique et se prépare actuellement pour être un enseignant de plus à rejoindre les rangs de l’association à but non lucratif « L’Art de Vivre ». En ce moment, Mastrini se déplace avec un sac-à-dos seulement rempli d’air, comme quand il voulait être hippie, mais avec une mission à sa charge : le projet Prison S.M.A.R.T, où le souffle libère même les geôles les plus retirées.