Le Noël intérieur

Les Fêtes de Noël sont devenues une course effrénée aux achats massifs d’ordinateurs, téléphones portables, appareils photos digitaux, i-phone, i-pod et quelques jouets en plastique parmi toute cette technologie. Les principales invitées à la fête sont les cartes de crédit, exsangues dans leurs efforts pour remplir tous les vides existentiels. Nous mangeons à n’en plus pouvoir, débattons pour savoir avec quelle partie de la famille nous passerons les fêtes, ouvrons les cadeaux au milieu des pleurs d’enfants à bout….et finissons vidés après le terrible marathon.

D’un point de vue plus profond, chaque mois de décembre nous partageons le rituel du souvenir d’un vécu simple et extraordinaire : l’histoire d’une mère qui a accouché en pleine nature, entre ses chèvres, ses ânes et ses bœufs, protégée par un homme appelé Joseph. Selon les textes, Joseph partit en quête de la sage-femme, mais lorsque celle-ci arriva, Jésus était déjà né. La femme en regardant la scène s’exclama : « cet enfant qui à peine né prend déjà le sein de sa mère, deviendra un homme qui jugera selon l’Amour et non selon la Loi ». Ce beau petit fut reçu dans une atmosphère sacrée, dans la chaleur de l’étable et sous l’extase du regard aimant de sa mère. Deux mille ans plus tard, nous célébrons toujours la naissance d’un enfant dans de bonnes conditions et honorons le miracle de la vie.

Vu sous cet angle, Noël devrait être l’occasion de rendre hommage à chaque naissance de bébés maternés et cajolés. Ces enfants deviendront une génération d’hommes et de femmes qui apporteront sagesse et paix intérieure aux êtres humains. A nous donc, de décider si nous voulons vraiment continuer à consommer frénétiquement en alimentant le néant, ou si c’est le moment d’apporter un peu de clarté, de soutien et de tendresse à chaque femme prête à accoucher, en nourrissant ainsi le futur.

– Laura Gutman-

 

Newsletter de Laura Gutman, Décembre 2008 – Traduction Brigitte Rietzler (Temesira)

Illustration © Chloé Dewar (illustration pour une carte de vœux qui a servi au co-financement de la River House Montessori School)

La circulaire du cordon

La circulaire du cordon est un motif de césarienne fréquemment invoqué.

Cette vidéo illustre pourtant, de façon merveilleuse, que cette raison est peut-être parfois invoquée à tort. Excuse facile pour justifier une chirurgie majeure pas forcément facile à accepter pour la maman, prétexte pour accélérer le processus de l’accouchement (pas la peine d’essayer de pousser, ce serait dangereux), manque de confiance dans les processus physiologiques et en la force des mamans et des bébés, ou peur des praticiens qui se heurtent à leurs propres limites, au manque de transmission auquel ils sont confrontés et au fonctionnement de la société de plus en plus procédurière.

Ici, on voit donc une maman accoucher en milieu hospitalier, par voie basse et en position physiologique (accroupie) d’un bébé avec… quintuple circulaire : oui vous avez bien lu, 5 TOURS DE CORDON! Sans précipitation ni panique, et avec beaucoup d’amour, de bienveillance et de respect, le bébé est accueilli et on lui laisse le temps d’arriver.

La vie est sage et nos corps sont parfaits!! Tout a été prévu pour la survie de l’humain. Si seulement nous avions un peu plus confiance en cette mécanique ancestrale et un peu plus conscience des processus physiologiques pour ne pas les perturber.

 


The Unassisted Hospital Birth of Clay

 

Tomber malade

Paradoxalement il n’y a rien de plus sain que de tomber malade, dans la mesure où nous sommes disposés à comprendre le sens profond de la maladie. Comme toute maladie est une expression de l’âme, il est de notre ressort de comprendre le langage des symptômes. Dans le cas contraire, si nous prétendons supprimer le symptôme, nous nous retrouvons sans les messages les plus directs et les plus clairs de notre être intérieur. Cela ne sert à rien de tuer le messager. Les messages –même s’ils ne nous plaisent pas- nous indiquent comment continuer à cheminer.

Cela voudrait-il dire qu’il ne faut pas lutter contre les maladies? En réalité, l’idéal serait de ne pas avoir à combattre de maladies, mais de les comprendre et de voir ce qui se manifeste dans le corps comme le reflet d’une partie de nous-mêmes. Évidemment, ce n’est pas facile. Pour une raison ou une autre, il se peut que nous n’ayons pas pu admettre une douleur, une colère, un obstacle ou une peur insurmontable de notre passé et l’avons alors « relégué dans l’ombre ». Seulement voilà, ce qui nous est arrivé réapparaît, mais cette fois-ci sur le plan physique, se rendant visible sous la forme d’une maladie dans le corps. Notre réaction automatique sera de la rejeter encore, comme si cela ne nous appartenait pas. Nous aspirons tellement à ne pas nous confronter à cette partie de la réalité que nous pensons qu’en supprimant le symptôme, la douleur émotionnelle disparaîtra. Malheureusement, les choses ne se passent pas ainsi, bien au contraire. Ce que nous avons écarté reste latent et revient sans cesse à la surface, finissant même pas transformer la maladie en douleur chronique.

Cela veut-il dire qu’il n’est pas nécessaire de s’occuper de la maladie sur le plan physique? Si, bien sûr, nous essaierons évidemment de diminuer le symptôme. Mais prenons conscience que la suppression du symptôme ne signifie pas la guérison. Nous sommes alors face à deux défis : d’une part soulager la douleur, et d’autre part nous poser les questions auxquelles nous n’avons pas eu la force de faire face par le passé. Demandons-nous ce que cette maladie nous impose ou nous empêche de faire et force sera de constater l’alignement parfait entre notre être essentiel et le symptôme. Cette quête bienveillante pour relier notre « moi intérieur » à notre « moi extérieur » demande un certain entrainement. Mais plus nous deviendrons capables d’assembler les morceaux de puzzle entre ce qui nous arrive et ce que cela vient toucher en nous, plus l’exercice deviendra évident.

-Laura Gutman-

Newsletter de Laura Gutman, Juin 2013 ~ Traduction Brigitte Rietzler // Temesira

La naissance de notre “devenir mère”

Laura Gutman, psychothérapeute familiale et écrivaine argentine, aborde la période post-natale et le « devenir maman » à travers le prisme de la fusion émotionnelle maman-bébé. Elle invite chaque nouvelle maman à cheminer dans son propre labyrinthe intérieur, à regarder avec honnêteté ce qu’elle vit et les aspects non-résolus de son passé qui resurgissent, afin de pouvoir s’en libérer et de trouver les ressources qui lui permettront de mieux prendre soin de l’enfant qui vient au monde.

 

Qui ne se souvient pas d’avoir passé son enfance à s’entraîner avec ses poupées à bercer, calmer, habiller, déshabiller, gronder et endormir un bébé? Et pourtant, lorsqu’un “vrai” bébé, le notre en l’occurrence, fait irruption dans notre vie d’adulte, quelle surprise de constater que le petit monstre que nous avons dans les bras et qui se borne à hurler aux pires moments est à mille lieux du bébé dont nous avons tant rêvé. Et que non, les bébés ne font pas que manger et dormir ! En réalité nous nous retrouvons prisonnières d’un être vorace, bougon, aux besoins intenses et aux demandes impossibles à combler. 

Cette surprise, justement, ne viendrait-elle pas de notre ignorance du phénomène de “fusion émotionnelle” quand, en tant que femme, nous entrons dans l’étape de la maternité ? Pour bien aborder ce concept, il est nécessaire de s’ouvrir au fait que la réalité n’est pas seulement constituée d’éléments visibles, concrets et palpables, mais aussi de mondes subtils, de champs émotionnels, perceptifs, intuitifs et spirituels qui, bien qu’invisibles, tirent pourtant le fil de notre vie consciente.

Concernant la dyade maman-bébé, il est important de comprendre que les deux appartiennent au même territoire émotionnel -telles deux gouttes d’eau dans l’océan-, et que cette union sans limites précises perdure, malgré la séparation des corps dès l’accouchement et la naissance du petit.

“Fusion émotionnelle” entre maman et bébé signifie que nous sentons la même chose, percevons la même chose, et ce, quelle que soit l’origine de la sensation, que le sentiment appartienne au présent, au passé ou au futur, car ces frontières temporelles n’existent pas dans le monde émotionnel. De fait, en tant que mère, quand un son trop fort nous est intolérable, s’il y a trop de gens autour de nous et que cela nous angoisse, ou que nos seins se remplissent quelques secondes avant qu’il ne se réveille, c’est que nous “ressentons comme un bébé”. De même, le bébé “ressent comme sa maman” lorsqu’il exprime à travers les pleurs ou une maladie, chaque situation émotionnelle face à laquelle nous nous sentons démunies : l’exigence du partenaire, les difficultés économiques, l’absence ou l’éloignement de notre propre mère, les pertes affectives, etc.

Le plus impactant de toute cette prise de conscience liée à la “fusion émotionnelle”, est que l’enfant vit le vécu de notre propre enfance comme s’il était le sien, s’actualisant et se manifestant dans son corps. Notamment ces vécus que nous avons “oubliés”, passés “dans l’ombre”. La véritable difficulté de la jeune mère n’est finalement pas tant de s’occuper correctement du bébé, que de se confronter à sa propre douleur face à la résurgence de ses peines de petites filles non cicatrisées. Devenir réellement adulte, c’est prendre conscience que nous avons désormais à notre disposition toutes les ressources émotionnelles pour assumer pleinement notre vécu et les choix que nous avons pu faire.

Concrètement, pourquoi ne pas faire l’essai aujourd’hui -quand nous n’arrivons pas à calmer  notre bébé en lui offrant le sein, en le berçant, en lui parlant, ou en l’emmenant se promener-, de nous remémorer une situation douloureuse ou non résolue de notre enfance, en rapport avec le lien avec nos parents ? En réussissant à faire remonter un vécu significatif, nous pourrons peut-être identifier et nommer avec des mots simples cette douleur, cette souffrance, colère ou honte que l’enfant perçoit en nous. En lui disant la difficulté ou le désaccord que nous vivons actuellement avec notre partenaire, les soucis concernant le manque de travail, le ras-le-bol des malentendus avec la voisine, ou même l’angoisse sourde pour cette amie qui a émigré. Force sera de constater qu’il se calmera. Parce qu’il saura de quoi il s’agit.

Et quoi de plus précieux, pour chacune d’entre nous, que de prendre conscience de certains sentiments que nous avions écartés parce qu’ils nous semblaient vieux, obsolètes ou sans valeur. Ainsi nos enfants -miroirs de l’âme maternelle- nous aident à nous reconnaître telles que nous sommes et nous invitent à donner la priorité à ce que nous avons à régler avec nous-mêmes. Nos bébés pleurent nos peines, vomissent nos ras-le-bol, se recouvrent de nos intoxications émotionnelles et se rendent malades de nos incapacités à nous regarder avec honnêteté.

Cela ne veut pas dire que nous devons avoir une vie exemplaire, ni que nous sommes “coupables” de ce qui arrive à nos enfants. L’acte de materner est au contraire une opportunité pour nous, les femmes, de découvrir le moyen de nous connecter à notre monde émotionnel richissime, de nous comprendre et de nous respecter. Le fait que notre enfant soit confronté à nos désirs et fantasmes refoulés nous oblige à nous poser des questions existentielles, intimes, authentiques et profondément féminines.

Non, nous ne devenons pas mères d’office au moment où nous accouchons de l’enfant. C’est lorsque nous vivons un moment de désespoir, de folie et de solitude au milieu de la nuit avec notre enfant dans les bras, quand la logique et la raison ne nous sont d’aucune aide, que nous nous retrouvons coupées de toute notion du temps, que la fatigue est sans fin et qu’il ne nous reste plus qu’à nous en remettre à cet enfant qui exprime notre moi profond et que nous ne pouvons pas faire taire, c’est alors que nous pouvons dire que notre mère intérieure est née.

Laura Gutmanhttp://www.lauragutman.com.ar/

Article publié dans la revue « Rêve de Femmes » n°28 – Automne 2012, p.22-23 ~ traduit par Brigitte Rietzler // Temesira

Illustration « Fusión » © Lorena Franzoni

 

Patriarcat, répression sexuelle et accouchements douloureux

En tant que femmes, nous baignons dans la répression sexuelle depuis déjà plusieurs siècles. Cela signifie que nous considérons le corps vil et impudique, les pulsions sexuelles malignes et la totalité des sensations corporelles indésirables. A quel moment apprenons-nous qu’il n’y a de place ni pour le corps ni pour le plaisir ? Au moment même de la naissance. Quelques secondes après avoir vu le jour, nous cessons d’être touchés. Nous perdons le contact continu du paradis utérin. Nous naissons de mères réprimées par des générations de femmes, elles-mêmes encore davantage réprimées, rigides, congelées, dures, paralysées et réticentes à caresser. Alors, l’instinct maternel se détériore, se perd, s’estompe.

Dans ce contexte, sous le poids de siècles de Patriarcat, éloignées de notre syntonie intérieure, nous ne voulons pas accoucher. C’est logique : comme nos utérus sont rigides, ils nous font mal. Notre ventre est blindé et nos bras se défendent. Nous n’avons été ni étreintes, ni bercées par nos mères, parce qu’elles-mêmes n’ont pas été cajolées par nos grands-mères et ainsi, de génération en génération, les femmes ont perdu tout vestige de  rondeur féminine. Alors, quand vient le moment d’accoucher, notre corps entier nous fait mal à cause de l’inflexibilité, de la soumission, du manque de rythme et de caresses. Nous  haïssons depuis des temps reculés ce corps qui saigne, qui change, qui ovule, qui se tache et qui est indocile.

Il est important de réaliser qu’au-delà de la soumission et de la répression sexuelle historique, nous accouchons en captivité. Depuis un siècle –au fur et à mesure que nous avons intégré le monde du travail, les universités et tous les circuits d’échange public-, nous avons cédé l’ultime bastion du pouvoir féminin : l’accouchement. Il ne nous reste même plus ce petit coin de sagesse ancestrale féminine. C’est terminé. Il n’y a plus de scène d’accouchement. Désormais il y a la technologie. Des machines. Des hommes. Des temps programmés. Des perfusions de drogues. Des piqûres. Des courroies. Des rasages. Des tortures. Du silence. Des menaces. Des résultats. Des regards invasifs. Et de la peur, bien sûr. La peur réapparaît au sein de l’unique refuge auquel les hommes, durant des siècles, n’ont eu qu’un accès restreint. Oui, nous avons même abandonné cette grotte intime. Avoir livré nos accouchements équivaut à avoir vendu l’âme féminine au diable. Aujourd’hui, si récupérer le plaisir orgasmique des accouchements nous intéresse et si nous assumons la puissance que nous pouvons déployer si ceux-ci nous appartiennent à nouveau, alors c’est à nous en tant que femmes de nous mobiliser et d’agir.

-Laura Gutman-

Newsletter de Laura Gutman, Février 2011 ~ Traduction Brigitte Rietzler // Temesira

Illustration © Myrrha (Jeu Féminitude, Ed. Le Souffle d’Or)